Dire qu’Odoo vaut 7 milliards d’euros suscite un réflexe : « ils ont levé un pactole ». La surprise, c’est qu’au-delà d’un ou deux épisodes, l’entreprise n’a jamais (ou presque) reçu de gros financements primaires. Elle a plutôt orchestré des transactions secondaires, des échanges de parts entre actionnaires, qui n’ont pas injecté de cash opérationnel mais ont mis à jour le prix de marché. Cet article raconte comment, pourquoi, et avec quel impact (ou non) sur l’activité.
Pour mémoire : levées primaires vs transactions secondaires
- Levée primaire : des investisseurs injectent du cash dans la société, en échange de nouvelles actions (dilution).
- Transaction secondaire : un actionnaire existant vend ses parts à un investisseur entrant. L’entreprise ne reçoit rien — ce sont des mouvements sur le capital, pas sur la trésorerie.
Quand on dit “Odoo n’a levé que 2 fois”, c’est au sens de levées primaires.
« Odoo n’a levé que 2 fois » : ce qu’on peut dire honnêtement
Levées primaires (cash injecté dans la société)
Quand on parle de levée primaire, c’est exactement ce que ça veut dire : des investisseurs apportent de la trésorerie neuve dans l’entreprise en échange d’actions nouvelles. C’est un point de bascule, car cela dilue les actionnaires existants — mais cela donne à l’entreprise les moyens de croître (R&D, recrutement, expansion).
- Dans le cas d’Odoo, voici les deux levées primaires avérées :
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2010 — ~ 3 M€ : tour d’amorçage auprès de Sofinnova Partners, Xavier Niel et Olivier Rosenfeld.
C’est la première fois que Odoo attire des capitaux externes. Ce démarrage est crucial : il finance le passage d’une structure “petite start-up locale” à une entité qui peut envisager des marchés plus larges, notamment l’implantation aux États-Unis, l’embauche d’équipes techniques, les investissements marketing, etc. -
15 mai 2014 — 10 M$(USD) : levée concomitante au rebranding OpenERP → Odoo, pour soutenir la R&D et la croissance commerciale.
Cette levée accompagne le rebranding OpenERP → Odoo. Elle sert à stabiliser la plateforme, à accélérer le développement de nouveaux modules, et à structurer une organisation plus robuste (ventes, support, internationalisation). C’est la seconde (et la dernière documentée) injection de trésorerie neuve dans l’entreprise.
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2010 — ~ 3 M€ : tour d’amorçage auprès de Sofinnova Partners, Xavier Niel et Olivier Rosenfeld.
Après ces deux épisodes, Odoo n’a plus (ou presque plus) joué le jeu des levées primaires massives : elle a choisi une autre voie.
Transactions secondaires + valorisations possibles
Les transactions secondaires sont des opérations sur le capital existant — des actionnaires cédant une partie de leurs parts à d’autres investisseurs — sans que l’entreprise reçoive de cash frais. Ces mouvements permettent de “réévaluer” le prix de l’action sur le marché privé, sans perturber l’exploitation quotidienne.
Voici les principaux jalons secondaires d’Odoo, avec les valorisations possibles/relevées :
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17 décembre 2019 — 90 M$ (avec Summit Partners)
C’était une transaction importante, mais la valorisation exacte issue de ce round n’a pas été publiée officiellement. -
Août 2021 — ~180 M€ (EUR) de secondaire (souvent relayé comme ~$215M)
Odoo est alors qualifié de “licorne”. Certains médias parlent d’une valorisation autour de 2 Md$ à ce stade. -
Juin 2022 — valorisation de ~3,2 Md€
Dans un rachat de parts entre investisseurs, la valeur de l’entreprise est rapportée à 3,2 Md€. Cette donnée apparaît dans la presse tech belge / européenne. -
20 novembre 2024 — ~500-527 M€ (secondaire)
Cette transaction, menée par CapitalG & Sequoia, valorise Odoo à ≈ 5,0 à 5,26 Md€ selon TechCrunch et les communiqués officiels. -
Septembre 2025 — échanges de parts (secondaire) ≈ 7 Md€
Annonce à Odoo Experience : le CEO précise qu’il ne s’agit pas d’une levée, mais d’échanges représentant « plusieurs dizaines de millions d’euros »
Pourquoi ces transactions secondaires n’impactent pas l’activité
- Dans une transaction secondaire, l’argent va d’un actionnaire à un autre, sans passer par l’entreprise. Odoo ne reçoit rien — ses budgets, ses investissements produits, sa trésorerie restent inchangés.
- Ces transactions servent de signal de marché : quand des fonds acceptent de payer des prix élevés pour des actions existantes, cela crédibilise la valorisation sans perturber le fonctionnement interne ou la gouvernance.
- Le discours officiel d’Odoo réaffirme cela : les transactions n’impliquent aucune injection de cash et l’organisation, la roadmap, les relations partenaires ne sont pas modifiées.
Timeline complète (levées + secondaires + valorisation possible)
| Date / Année | Type | Montant / nature | Valorisation estimée ou déclarée |
|---|---|---|---|
| 2010 | Levée primaire | ~3 M€ | — |
| 15 mai 2014 | Levée primaire | 10 M$ | — |
| 17 déc. 2019 | Secondaire | 90 M$ | valorisation non divulguée |
| Août 2021 | Secondaire | ~180€-215 M$ | valorisation “licorne” (> 1 Md€), certains médias parlent ~2 Md$ |
| 2022 | Secondaire | — | |
| 20 nov. 2024 | Secondaire | ~500-527 M€ | valorisation ≈ 5,0 à 5,26 Md€ |
| Sept. 2025 | Secondaire | échanges de parts | valorisation annoncée ≈ 7 Md€ |
Les 6 leviers qui expliquent la valorisation
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Modèle “open-core” + plateforme intégrée
Odoo combine CRM, ventes, comptabilité, stock, e-commerce dans une suite unique. Le store d’extensions et le réseau partenaires renforcent l’adoption et la profondeur fonctionnelle. -
Tarification radicalement simple
Le forfait Enterprise est fixe, par utilisateur, quel que soit le nombre de modules activés — ce qui réduit la friction à l’entrée et encourage l’extension interne. Le module “Une app gratuite” alimente le funnel. -
Distribution hybride scalable
- Canal partenaire structuré (commissions, formation, soutien)
- Odoo.sh (PaaS) : hébergement managé mais customisable, ce qui réduit le coût d’intégration et facilite l’expansion
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Discipline financière atypique
Fabien Pinckaers défend un modèle “anti-startup” : pas d’IPO en vue, croissance auto-financée, et recours aux transactions secondaires pour faire entrer des fonds sans “cash burn”. -
Partenariats infrastructurels
Alliances comme avec Google Cloud assurent la résilience, la latence maîtrisée, la fiabilité, ce qui rassure sur les déploiements à grande échelle. -
Momentum crédible (chiffres & projections)
- En 2024, Odoo affiche 426 M€ de chiffre d’affaires (+32 %)
- En 2025, Odoo annonce ~650 M€ (prévisions internes)
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Objectif 2027 : 1 Md€
Cette trajectoire, couplée à une base installée, rend l’atterrissage à 1 Md€ plausible, pas spéculatif.
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Objectif 2027 : 1 Md€
Ce que signifie cette valorisation — et pourquoi elle tient
- Diversité des revenus : abonnements logiciels + services cloud + extensions via l’écosystème → rétention forte, expansion possible.
- Profil très séduisant pour investisseurs : forte croissance (> 30 %), rentabilité, gouvernance centrée sur le fondateur.
- Preuve de marché réelle : la transaction secondaire de fin 2024 (~500 M€) donne un prix observé, au-delà des projections ou slides.
Pourquoi les investisseurs continuent d’y croire
- La traction est tangible — les chiffres de croissance et d’adoption font office de “preuve par le terrain”.
- Le modèle est transparent, stable, avec peu de risques de dilution sauvage.
- L’écosystème (clients + modules + partenaires) crée un verrou naturel.
- Que des fonds réputés acceptent d’acheter en secondaire à valorisations élevées est un signal puissant.
- Le fondateur conserve une majorité (≈ 55 % selon Trends) même après ces mouvements, assurant continuité stratégique
Conclusion
Au final, la vraie surprise n’est pas que Odoo atteigne 7 milliards, mais comment elle y soit parvenue : pas par une levée délirante après l’autre, mais par des transactions secondaires bien calibrées, qui n’ont jamais fragilisé ses opérations internes.
C’est le paradoxe élégant d’une licorne silencieuse : elle croît, elle grandit, mais sans bruit de dilution. Les investisseurs ne parient pas sur les effets de levier financiers, mais sur un modèle stable, une exécution régulière et une vision cohérente.
Si Odoo réussit à franchir le cap du milliard de CA en 2027, cette valorisation ne sera pas une grâce du marché — ce sera le reflet d’un pari sur la constance, la traction et la confiance.